Bâteaux de pécheurs, Thaïlande-péninsulaire © Cristina Castillo

Responsable du Projet
Bérénice Bellina

PÉNINSULE THAIE-MALAISE
Mission archéologique française du
Ministère des Affaires Étrangères

De 2005 à 2009, la Mission Archéologique Franco-Thaïe en péninsule Thaï-Malaise
septentrionale a mis au jour à Khao Sam Kaeo (Chumphon, Thaïlande
péninsulaire) la plus ancienne proto-cité-état de caractère cosmopolite en Mer
de Chine dont l’émergence est clairement liée au développement des
échanges des routes de la Soie.

Elle a révélé le caractère industriel de ce type d’entité politique en mettant en évidence des zones de production de biens de prestige qui mettaient en oeuvre des technologies complexes exogènes, certaines sous l’égide d’artisans étrangers. Ces productions étaient distribuées à différentes échelles de réseaux asiatiques. Ce programme a démontré le rôle des artisans dans les constructions culturelles et identitaires dans l’Océan indien. Il a également révélé sur ce site au carrefour d’influences multiples, l’émergence d’une forme d’urbanisme originale et d’une centralisation politique insoupçonnée dès la fin de la préhistoire. Khao Sam Kaeo apparaît ainsi comme un site de référence pour l’histoire de l’Asie du Sud et du Sud-Est comme le montre la monographie du site intitulée “Khao Sam Kaeo an early port-city between the Indian Ocean and the South China Sea” qui est en cours de publication aux éditions de l’École française d’Extrême-Orient. L’ouvrage, en anglais pour une diffusion maximale, comporte 26 chapitres tous précédés de résumés en anglais et en thaï.

Au cours du deuxième quadriennal (2011-2014), la mission a ouvert un nouveau pan de sa recherche qui traite davantage des relations homme-environnement. Elle s’attache ainsi aux évolutions sociotechniques et migratoires des différentes populations de la péninsule Thaï-Malaise septentrionale ainsi qu’à leurs écosystèmes en relation avec les échanges hauturiers. La période concernée a été élargie à la fin du Néolithique et au début de l’âge des métaux afin de mesurer plus précisément l’incidence de la mise en place des réseaux d’échanges régionaux et hauturiers sur les différents groupes (1er millénaire. A.C. – 1er millénaire. E.C.). Nous avons ainsi examiné les évolutions combinées des différents types de populations et de leurs environnements via une approche systémique (dans laquelle s’articulent les différents niveaux de réseaux), décentrée et sur la longue durée. Notre approche est originale en ce que nous n’avons pas restreint notre étude aux populations côtières urbaines, mais l’avons ouverte aux populations longtemps peu considérées par l’archéologie en particulier aux collecteurs forestiers de l’intérieur des terres et aux populations aquatiques (« nomades des mers »). Dans le cadre de la mission, nous avons prospecté et fouillé des sites relevant d’environnements variés le long des différents bassins fluviaux de la région : l’établissement portuaire de Khao Sek (2013-2014), les sites vraisemblablement collecteurs de matières premières forestières (Pangwan), des grottes de l’intérieur forestier (2012-2013) et des zones côtières (2011). La topographie, l’organisation interne, le mode de construction ainsi que le modèle industriel de Khao Sek sont apparus identiques à ceux de Khao Sam Kaeo bien que le premier soit de dimension plus modeste et ne présente pas de caractère cosmopolite.

Créé sur le modèle de Khao Sam Kaeo, Khao Sek en constituait un avant-poste contrôlant le bassin fluvial de la Langsuan, lequel était ponctué de sites collecteurs et d’un éventuel autre avant-poste (Ban Na Hyan). Ce bassin pourrait bien correspondre à la plus ancienne route transpéninsulaire de la région. Nos recherches mettent ainsi au jour dès le 4ème-3ème siècle précédent notre ère, une organisation politico-économique structurée, hiérarchique et visiblement centralisée autour du contrôle des bassins fluviaux et des routes transpéninsulaires par ce qui pourrait bien correspondre à confédération de cités-états marchandes. Ces découvertes apportent des données inédites sur les premières routes maritimes de la soie et en particulier sur les routes transpéninsulaires ainsi que sur le rôle central que les populations de la péninsule ont joué dans l’élaboration des premières formes urbaines et politiques en Asie du Sud-Est maritime. En périphérie de ces cités-états marchandes, des populations de culture maritime semblent avoir prospéré. Les riches dépôts funéraires mis au jour dans les grottes de Tham Tuay (campagne 2011) révèlent à la fois une bonne connaissance des réseaux de la mer de Chine et des liens étroits avec les places marchandes. Ces vestiges pourraient-ils correspondre à ceux de nomades marins ?

← 1 et 2. Relevés différents et multiples sur le terrain – 3 et 4. Prises de vue – ↑ 5. Relève minutieuse sur le terrain © B. Bellina.

Depuis 2012, à la demande de la communauté locale à Sawi et avec le soutien d’institutions de recherche et d’enseignement de Bangkok, la mission participe à l’élaboration d’un centre du patrimoine naturel et culturel. Ce projet qui associe archéologie, ethnologie (dont ethnobotanique), muséologie et sciences du patrimoine donne lieu à des collaborations entre diverses institutions européennes (CNRS, IRD, Muséum d’Histoire Naturelle, Université Libre de Bruxelles) et Thaïlandaises (National Science Museum, National Reseach Council of Thailand). Son propos est de mobiliser les recherches effectuées dans le cadre de la mission dans un objectif de conservation, de transmission et de formation pour les populations locales via notamment des stages et des expositions temporaires et permanentes, une des spécialités du National science Museum pour lequel il constituerait une base régionale, la seule en péninsule. Les études anthropologiques menées par Annabel Vallard, Olivier Evrard et Jean-Marc Dubost prolongeant les recherches historiques de la mission permettront ainsi de caractériser d’éventuelles permanences régionales et de participer activement à la réflexion sur les processus de patrimonialisation au sein de ce centre.

Au cours du projet 2016-2019, la mission propose d’approfondir certaines des thématiques initiées lors du précédent quadriennal. Elle souhaite en particulier étudier dans la durée les relations entre les populations de collecteurs (forestiers et marins) et les populations urbaines et péri-urbaines des cités-états (agriculteurs et marchands), depuis le néolithique et jusqu’aux périodes historiques. Les membres de l’équipe vérifieront l’hypothèse selon laquelle les échanges hauturiers ont mis à profit des relations symbiotiques et des réseaux d’échanges préexistants ou s’ils ont contribué à développer des spécialisations économiques ? Autrement dit, la capacité d’adaptation socio-économique des populations de la péninsule a-t-elle constitué le socle sur lequel ont pu se développer les échanges hauturiers ? Comment cette complémentarité socio-économique supposée a-t-elle évolué au cours de périodes historiques ? Pour répondre à ces questions, nous investiguerons des sites de l’intérieur forestier le long des routes transpéninsulaires (Khao Chula, chumphon) et des côtes (Wang Duan, Prachuap Khiri Khan) dont la séquence chronologique longue nous permettra d’analyser l’évolution des populations que l’on suppose être des collecteurs de ressources naturelles utiles spécifiques en lien avec le développement des échanges à la fois avec les cités-états de la région et le commerce hauturier. Des recherches sur les sites côtiers, nous permettront également de vérifier l’hypothèse de l’émergence d’une confédération de cités-états dans la région à la fin de la préhistoire (Tha Chana et Ban Kluay Nok). Les données escomptées durant ce nouveau quadriennal nous permettons aussi de poursuivre nos recherches sur les processus de patrimonialisation avec notamment la participation d’un étudiant français (master) et de Putsadee Rodcharoen, lecturer à Silpakorn University.